Pierre Rabadan – L’interview
Nous sommes très heureux de vous proposer en page intérieure l’interview de Pierre Rabadan, effectuée ce début de saison quelques temps après son dernier match avec les Barbarians.
Pierre a eu la gentillesse de consacrer un peu de son temps à bien vouloir répondre à toutes nos questions sans tabous et avec honnêteté. Ce n’est une surprise pour personne quand on connait le personnage. Merci beaucoup.
Très sincèrement, Pierre-Jean PASCAL, Président des Amis du Stade Français.
BdT : Comment avez-vous vécu cette saison ?
C’était une saison qui forcément pour moi serait particulière.
J’avais en effet choisi que ce soit la dernière !
Elle se devait d’être spéciale, unique et atypique… On peut dire qu’elle ne m’a pas déçue de ce côté-là !
Elle a été d’abord douloureuse, longue, frustrante, agaçante, déprimante parfois même…
A la reprise de la saison 2014-2015, alors que rien ne laissait pressentir un problème physique, une très forte douleur au dos est apparue. Elle m’a laissé incapable de jouer au rugby pendant 7 mois, avec des douleurs permanentes, assez terribles.
J’ai donc mené un long combat pour retourner sur les terrains, non sans douleurs. J’ai pensé ne plus pouvoir jouer, terminer ma carrière là-dessus… Et puis je suis revenu, avec force de détermination et de non résilience. Sans être au meilleur de mes capacités, mais pour m’offrir une sortie digne et accompagner cette équipe que je voyais, avec une certaine inconstance, devenir performante et capable du meilleur !
J’ai pu dire au revoir, accompagné de mes proches et du public, dans mon stade Jean Bouin, et ça c’est très important… et je ne savais encore pas que le meilleur arrivait !!!
Ce Brennus a été incroyable, inespéré, exceptionnel. Je l’ai vécu de manière différente des autres que j’ai eu la chance de gagner…. mais c’était très fort. Une belle saison, imprévisible, à sensation forte en bref… mémorable ! Et pour une dernière c’est important !
BdT : Quels étaient les objectifs que vous vous étiez fixés en début de saison, et quels étaient ceux fixés par l’entraîneur ?
Mon objectif était de jouer un maximum et d’apporter mon expérience, au service de l’ambition du club et de l’équipe. Ceux fixés par les entraîneurs étaient les mêmes. Mais ma blessure a changé la donne !!! L’objectif de l’équipe était de retrouver les phases finales, je crois que l’on a réussi…
BdT : À partir de quelle période de la saison avez-vous senti que jouer le titre était réalisable ?
Pas avant les phases finales. Le Top 14 est un marathon, long et difficile, ou une mauvais succession de performance peut vite vous affaiblir ! Nous avons fonctionner par étape, avec succès. Mais sincèrement, le titre nous y avons pensé uniquement la semaine avant la finale… Après il y a eu quelques indicateurs positifs durant la saison, des petits signes qui font dire que cette équipe a un potentiel pour rêver à de belles choses !
BdT : Le fameux match contre le Racing, sur ses terres en fin de saison, a été déterminant. Le considérez-vous comme étant LE tournant de la saison.
Cela a été un match important bien sûr. D’abord car c’est un derby et qu’il fallait confirmer la victoire du match aller. Ensuite car nous venions de gagner à Bordeaux dans les dernières secondes grâce à un drop de Jules Plisson; mais nous avions encore besoin de points pour nous qualifier.
Enfin parce que nous avons été victime d’une injustice, sur le carton rouge de Sergio Parisse, qu’il y a eu une réaction collective très forte et que nous avons fait un exploit en gagnant en infériorité numérique pendant une grande partie du match.
On a peut être ce jour là, au delà de la victoire et de l’exploit sur les terres de Colombes, prit conscience que l’on était une vraie équipe, solidaire, liée et déterminé à écrire sa propre histoire.
En cela ce match a été un tournant.
BdT : Voyez vous d’autres matches qui selon vous a été un tournant ?
Bordeaux, comme je vous le disais a pour moi été également un tournant.
Après la défaite contre Toulouse à Paris nous étions en difficulté, à un moment charnière de la saison.
Peu d’équipe avait été capable de faire un résultat à l’UBB. Cette victoire a inversé la dynamique.
Mais certaines défaites sont aussi des tournants.
Celle d’Oyonnax à domicile a été douloureuse mais salvatrice sur la longueur, je le pense.
Après nous pourrions remonter encore plus loin… Le premier match de la saison contre Castres à Béziers, où avec beaucoup d’absents et une préparation non optimale, nous avons parfaitement lancer la saison… ou encore la victoire chez le Champion d’Europe… Une saison constitue une succession de tournant mais on ne se souvient que des derniers… les plus importants avant la ligne d’arrivée !
BdT : Que retenez-vous de l’état d’esprit de l’équipe durant toute la saison régulière et à l’approche des phases finales ?
C’est l’essence même de cette équipe, comme ça l’a souvent été dans l’histoire de ce club. Gonzalo a beaucoup insisté sur cette capacité à se construire en tant qu’équipe. Nous avions beaucoup de joueurs issus de la formation du club, qui ont un grand attachement au Stade français… Elle s’appuyait aussi sur des joueurs qui ont une grande histoire avec Paris et le Stade Français… Je pense que nous pouvons aussi être fier de la transmission que nous avons mis en place dans ce groupe, il y du lien, de l’échange et de l’attachement. C’est souvent la base, le lit de grands exploits !
Nous savions que cette équipe, la nôtre, serait performante si elle était irréprochable dans son engagement au quotidien… Avec en plus une solidarité et une dynamique de groupe qui porterait la volonté commune. Nous avions besoin d’être un peu plus exigeant les uns envers les autres également mais sans altérer la bonne ambiance de ce groupe de joueurs, qui a toujours bien vécus, dans la difficulté comme dans les grands moments de joies !
BdT : Avec quel état d’esprit avez-vous entamé ces phases finales ?
Déterminé et prêt à saisir notre chance.
On a ces dernières années mesuré, à balles réelles, ce que c’est que de les regarder à la télévision, en vacances, ces phases finales !
Personnellement je savais que j’avais peu de chance de jouer car j’avais très peu de temps de jeu durant l’année, en grande partie à cause de mon dos.
Mais je savais que je jouerai un rôle au plus proche de l’équipe tout en me tenant prêt au cas où l’on ait besoin de moi.
J’ai tout fait avec les joueurs qui démarraient les matchs, j’ai beaucoup parlé avec eux, échangé sur mes expériences des phases finales… J’ai essayé de les guider parfois en distillant quelques conseils… Et j’en ai profité pour vivre ces émotions que j’aurai du mal à retrouver dans une autre vie !
BdT : Quel(s) objectif(s) étai(en)t fixé(s) par l’encadrement du Stade Français Paris et par vous ?
Rêver du meilleur était notre seul objectif commun. Une fois que l’on est en phase finale, il ne faut penser qu’au titre, tout le reste est décevant. Quand on fait ce sport et que l’on arrive à 3 matches du titre, ce qui est déjà long et difficile, il faut être fou, ne se donner aucune limites et avancer le plus vite, le plus fort et le plus loin possible !
BdT : Comment avez-vous vécu la finale contre l’ASM ?
Très mal. Après l’échauffement je me suis assis en tribune, prostré et j’ai subi le match jusqu’à la 80ème minute. C’était certainement le match le plus éprouvant de ma carrière. Je sais pas si nous méritions le titre, Clermont a été plus performant que nous en 2ème mi-temps mais la détermination était nôtre et nous n’avons pas douter que ce titre, pour un tas de raisons, devait nous revenir, enfin !
BdT : Quelle finale ! Pour un joueur, terminer sa carrière sur un titre national doit être la consécration, une sorte de beau cadeau ?
C’est un cadeau inestimable… même si je n’ai pas joué cette finale et que c’est toujours différent quand on ne joue pas !
Mais j’ai eu la chance d’en gagner 4 en jouant les finales, alors j’ai apprécié cette nouvelle position à sa juste valeur, je l’ai vécue comme une chance, un cadeau que mes coéquipiers m’ont offert… et je les en remercie encore pour ça !
Je suis surtout heureux que nous ayons réussi à remonter cette équipe en haut, malgré les difficultés que nous avons connu ces dernières années et les obstacles que certains nous ont imposés.
Un noyau de joueur aimant ce club est resté en place, avec ses idées et sa volonté, et nous savions que nous étions dans le vrai, que ça allait revenir, en dépit de ceux qui sont venus pour briller, nous voulions que ce soit le club qui brille de nouveau et nous avons réussi ! Je suis fier de ça.
BdT : Pouvez-vous nous dire ce que vous allez maintenant faire ? Envisagez-vous de rester dans le milieu du rugby ou passer à autre chose ?
J’aurais aimé continuer mon aventure avec le Stade Français. Je pensais, qu’en ayant jouer 18 ans (dont 17 en pro) pour ces couleurs et en ayant montrer mon attachement et ma volonté à défendre ce club, trouver une continuité dans l’évolution du projet et de sa portée dans le rugby… Malheureusement ça n’a pas été le cas.
Je m’occupe de mon avenir. Il sera précisément défini d’ici un petit mois (*)… mais je vais rester dans le sport et je serai régulièrement à Jean Bouin pour soutenir mon club.
Je suivrai de près le rugby en commentant des matchs sur Canal Plus… Et l’avenir nous dira, si un jour, je dois avoir un autre fonction dans ce sport… qui m’a tant donné!
BdT : Pouvez-vous nous raconter une anecdote que vous avez vécue cette saison ?
L’anecdote est un bien rare et précieux même si j’ai eu la chance grâce au rugby d’en vivre d’innombrables et d’indicibles…
J’ai été extrêmement touché par le cadeau que vous m’avez fait pour mon dernier match et tous les adorables mots que vous avez eus.
Parmi cela un témoignage m’a profondément marqué. C’est l’un des plus beaux que l’on m’ait adressé.
Isabelle a écrit ceci : « Merci Pierre, tu nous as fait aimé le rugby !».
On ne pouvait me rendre plus bel hommage ! Alors merci.
J’en profite pour vous remercier infiniment, vous « Les Amis », pour votre infaillible et si précieux soutien. Ce club a de la chance de vous avoir et j’espère que vous savez que vous êtes pour beaucoup dans son succès, passé, présent et futur.
A très bientôt…
Amicalement et sincèrement, Pierre Rabadan
(*) Depuis cette interview, Pierre Rabadan a rejoint le cabinet du maire de Paris, Anne Hidalgo.