Chambrage ou insulte : quelle ambiance voulons-nous dans les stades de rugby ?

Le rugby est un sport qui revendique des valeurs fortes : respect de l’adversaire, de l’arbitre, solidarité, esprit d’équipe. Mais à mesure que les stades se remplissent et que l’enjeu sportif et économique s’intensifie, une question dérangeante surgit : que reste-t-il de ces valeurs dans les tribunes ?

Dans de plus en plus de stades, les comportements évoluent : huées lors des tentatives de transformation ou de pénalités malgré les messages appelant au silence, sifflets nourris à l’entrée de l’équipe visiteuse, insultes envers l’arbitre, agressions verbales, voire jets de bière sur des supporteurs adverses. Certains virages commencent malheureusement à ressembler aux tribunes hostiles du monde du ballon rond.

Est-il trop tard pour sauver les valeurs du rugby ? Peut-être pas. Mais il est urgent d’agir.

Tous les échanges en tribune ne se valent pas. Il existe une différence nette entre une remarque ironique, une boutade qui amuse sans blesser — et un comportement qui agresse, insulte ou exclut. L’ambiance ne doit pas devenir une excuse pour laisser s’installer la violence verbale ou le mépris de l’autre. Ce n’est plus de la passion, c’est une dérive.

Trois principes simples pour tracer la ligne 

1. L’intention : est-ce pour faire rire ou pour nuire ? Une pique légère peut amuser la galerie. Une insulte, elle, blesse et cherche à provoquer.
2. La cible : qui est visé ? Une équipe ? Un joueur ? Un groupe de supporteurs ? Critiquer un style de jeu ou taquiner un maillot peut encore passer. S’attaquer à des personnes — joueurs, arbitres ou supporteurs — est inacceptable.
3. L’impact : le comportement crée-t-il une ambiance festive ou un climat de conflit ? Le rugby doit rester un lieu de partage, pas de confrontation. Les tribunes doivent rester inclusives, où les supporteurs des deux équipes se côtoient et où les familles passent un bon moment ensemble.

Les instances du rugby doivent faire plus.

Les slogans comme « Respectez le buteur » ne suffisent plus. Ils doivent être incarnés, répétés et accompagnés d’actions concrètes : responsabilisation des clubs, éducation des jeunes, implication des joueurs dans les messages de respect, et comportements exemplaires des entraîneurs — aussi bien au bord du terrain qu’en conférence de presse.

Certains clubs ont déjà lancé des campagnes de sensibilisation. Mais la lutte contre les dérives ne peut pas reposer sur quelques initiatives isolées.

Un choix collectif.

Le rugby doit protéger ses valeurs et rester fier de sa différence. Ce qui se passe dans certaines tribunes met cette différence en péril. Sauver l’esprit rugby ne se fera pas avec de grands discours, mais avec des actes concrets et une volonté partagée de ne pas suivre le chemin du football, où la haine de l’autre conduit au « parcage » des supporters adverses et à la présence systématique des forces de l’ordre autour des stades.

Être supporteur, c’est vivre sa passion. Insulter ou agresser, c’est la trahir.

Rod Devlin